Affaire Evaëlle: 18 mois de prison avec sursis requis contre l'enseignante jugée pour harcèlement

Pontoise (France) (AFP) - La procureure a requis mardi 18 mois de prison avec sursis à l'encontre de l'enseignante d'Evaëlle, jugée pour harcèlement moral sur mineurs, considérant qu'elle a "jeté en pâture" l'adolescente qui a fini par se suicider à 11 ans en 2019.
Elle a critiqué une enseignante en position de "toute puissance" qui avait un "contact assez rude avec les élèves".Dans sa relation avec Evaëlle, elle "la jette en pâture au collectif, la fait pleurer".
Elle a également demandé une interdiction définitive d'exercer la profession d'enseignante.
"Le degré de manque d'empathie de madame me sidère, ne cesse de me sidérer", a déclaré la procureure dans le début de ses réquisitions.
Elle a estimé que la prévenue, une enseignante de 62 ans jugée pour harcèlement moral sur trois élèves dont Evaëlle - mais qui a bénéficié d'un non-lieu pour homicide involontaire -, était dans une "dérive systémique" qui "aurait pu perdurer longtemps après si l'institution judiciaire ne s'était pas saisie de la notion du harcèlement scolaire".
Depuis une loi de mars 2022, le harcèlement scolaire est reconnu comme un délit.
L'enseignante, qui d'après l'un des adolescents victimes, avait "ses chouchous et ses cibles", a en revanche bénéficié d'un non-lieu pour homicide involontaire.
Son "harcèlement est le déclencheur et catalyseur du harcèlement des mineurs", a affirmé la procureure.Deux d'entre eux seront jugés devant le tribunal des enfants avant la fin de l'année.
Le 21 juin 2019, Evaëlle se pend à son lit, à 11 ans.
L'arrivée en 6e au collège Isabelle-Autissier d'Herblay dans le Val-d'Oise avait été éprouvante pour l'adolescente, devenue le bouc émissaire de camarades qui l'insultent et la violentent
Dès septembre 2018, elle a également fait face à des tensions avec sa professeure de français, autour de la mise en place d'un protocole médical relatif à des problèmes de dos.
Ses parents finissent par porter plainte contre des élèves et la changent de collège en février 2019.
- Rares regrets -
Longuement interrogée dans la matinée, l'enseignante aux 30 années d'expérience sans accroc a contesté tout harcèlement.
"Je n'ai pas humilié Evaëlle", a-t-elle affirmé.
Sur les sessions de vie de classe litigieuses, elle a expliqué que "ce n'était pas dans le but de la mettre en difficulté mais essayer de régler ce problème relationnel dans la classe".
D'après le récit des élèves, l'enseignante avait demandé aux collégiens d'exprimer leurs reproches à Evaëlle qui devait ensuite s'expliquer. Face à ses pleurs, l'enseignante s'était énervée et lui avait intimé de répondre aux questions.
"J'ai dû lui dire: +Arrête de pleurer+, phrase idiote à dire.Je ne voulais pas qu'elle pleure, ce n'était pas l'enjeu", reconnaît l'enseignante.
Pour Evaëlle, "c'était la pire journée de toute ma vie", rapporte sa mère.
Lundi, ils ont dénoncé aussi bien l'inertie de l'Education nationale -contre laquelle il n'y aura aucune poursuite pénale à la suite d'une indemnisation- que le manque d'investigations des autorités, une première plainte ayant été classée alors qu'Evaëlle était encore vivante.
"On a alerté tous ceux qu'on pouvait en tant que parents d'élèves", a souligné la mère.
Le suicide d'Evaëlle, "c'est le drame de toute l'institution scolaire" avait reconnu lundi le principal du collège.A l'époque, un harcèlement émanant d'un professeur lui était inimaginable et il avait fait bloc derrière l'enseignante.
Elle a également été mise face à une kyrielle de témoignages d'élèves relatant des cris et des humiliations de l'enseignante : "tu es bête, tu vas finir SDF", "on peut pas être bête à ce point, tu n'as pas de cerveau".
Pour la procureure, c'est la "manifestation qu'on utilise le harcèlement pour fédérer le collectif d'une classe difficile.Quel était le sens pédagogique de ce type de formule ?".
"Tout le monde a compris sauf J.", a-t-elle encore dit à un élève malentendant d'une autre classe, aujourd'hui sur le banc des parties civiles."Vous regrettez d'avoir dit ça ?", a demandé la présidente.
"Oui si ça l'a blessé, évidemment", concède l'enseignante, dans un rare regret.
Pour certaines paroles, "oui ça m'arrivait de crier, de dire ça dans des moments", a-t-elle reconnu, estimant que c'était une enseignante "exigeante", "à l'écoute" et déterminée à "aider ses élèves".