Assassinat de Samuel Paty: la cour commence à examiner l'affaire sur le fond
Paris (AFP) - La cour d'assises spéciale de Paris, qui juge huit personnes mises en cause dans l'assassinat du professeur Samuel Paty, a commencé vendredi à examiner l'affaire sur le fond en interrogeant des enquêteurs et des proches d'Azim Epsirkhanov, l'un des deux accusés poursuivis pour complicité d'assassinat terroriste.
Ces premiers témoignages n'ont pas dissipé les zones d'ombre sur le rôle du jeune Russe d'origine tchétchène de 23 ans, accusé d'avoir accompagné - avec son co-accusé Naïm Boudaoud - le tueur Abdoullakh Anzorov jusqu'à une coutellerie de Rouen la veille de l'attentat pour y acheter un couteau retrouvé sur la scène de crime.
Parmi les questions restées sans réponse demeurent la nature du lien qui unissait Azim Epsirkhanov et Abdoullakh Anzorov, deux amis d'enfance qui s'appelaient "frère" ou le pourquoi de la recherche d'une arme à feu par Azim Epsirkhanov avant l'attentat.
L'interrogatoire direct d'Azim Epsirkhanov n'est pas prévu avant le 21 novembre.
"Je sais qu'Azim est innocent", affirme sa compagne Coline L., une jeune femme de 23 ans aux longs cheveux bruns, vive et souriante, ne se laissant pas démonter par les questions de la cour, du parquet et des avocats.
Convertie à l'islam à 15 ans, quatre ans avant de rencontrer Azim Epsirkhanov, ne portant aucun signe religieux, la jeune femme, étudiante en comptabilité-gestion, affirme ne pas avoir remarqué d'échanges fréquents entre le tueur et son compagnon.
Pourtant, relève l'avocat général Nicolas Braconnay, on décompte 393 communications entre les deux hommes entre le 20 octobre 2019 et le 16 octobre 2020, le jour de l'assassinat de Samuel Paty.
"Pourquoi avoir effacé une partie de vos conversations sur votre téléphone avant que votre compagnon se rende de sa propre initiative au commissariat d'Evreux (Eure) ?", après l'assassinat, demande une magistrate."Pour effacer des photos intimes.Rien d'autre", soutient la jeune femme.
Elle ne s'étonne pas quand son compagnon lui donne une liasse de 800 euros en petites coupures quelques jours avant l'attentat."Je pensais que c'était l'argent de son intérim", dit-elle ingénument.En fait, cette somme avait été confiée à Azim Epsirkhanov par Anzorov pour lui procurer une arme à feu en urgence.Azim Epsirkhanov ne lui avait finalement pas fourni d'arme.
- "Couteau pour randonneur" -
A quoi devait servir cette arme ? Des témoins évoquent un différend ayant entraîné la mort d'un jeune Tchétchène le 25 septembre 2020, entre la communauté tchétchène d'Evreux et "des Africains".Une arme pour se venger entre deux communautés, sans lien avec l'assassinat de Samuel Paty ? La question est également restée sans réponse.
Le témoignage d'un agent des renseignements territoriaux d'Evreux apprend à la cour que ce service de police a cherché à recruter Azim Epsirkhanov comme "indicateur" à l'âge de 16 ou 17 ans, complexifiant un peu plus la personnalité de l'accusé."Il avait un bon état d'esprit, sportif, non fuyant", dit le policier qui intervient en visio et sous couvert de l'anonymat.
"C'est un gars gentil, respectueux", confirment plusieurs témoins.
Pas convaincue par ces dithyrambes, la gérante de la coutellerie de Rouen, très émue à la barre, raconte que trois hommes, identifiés plus tard sur des photos comme Abdoullakh Anzorov, Azim Epsirkhanov et Naïm Boudaoud, lui avaient acheté un couteau la veille de l'attentat, "un couteau pour randonneur ou pour le jardinage", précise-t-elle.
"Un grand (probablement Abdoullakh Anzorov) m'a expliqué que c'était un cadeau pour son grand-père", se souvient la commerçante.
"Est-ce que ces trois hommes semblaient associés dans le choix de ce couteau ?", demande une juge assesseure."Je dirais oui.Je sentais les trois concernés", répond la témoin.
Pendant qu'elle parle, la cour diffuse des images de ce couteau ainsi que l'arme du crime, plus grande, dont la lame est tâchée de sang."C'est un couteau de cuisine, une lame japonaise", dit d'une voix blanche la commerçante.
Elle se souvient que "les deux grands" (probablement Abdoullakh Anzorov et Azim Epsirkhanov) "parlaient entre eux dans une langue" qu'elle ne comprenait pas.
"Et le +petit+, était-il aussi concerné ?", l'interroge l'avocate de Naïm Boudaoud qui, selon la commerçante, semblait nerveux dans sa boutique."Oui, il me semble qu'il était concerné", répond la témoin.