Procès du TGV Est: premières auditions des prévenus

Paris (AFP) - "Ça va aller..." A la barre mardi du tribunal correctionnel de Paris, le cadre chargé de donner au conducteur du TGV les consignes de freinage et d'accélération, tremble comme une feuille avant même d'évoquer la "journée cauchemardesque" du 14 novembre 2015.
Agé de 64 ans, Francis L. est le premier des prévenus à être interrogé, cinq semaines après l'ouverture du procès du déraillement de la rame d'essai qui a déraillé à hauteur d'Eckwersheim (Bas-Rhin), près de Strasbourg, causant la mort de 11 personnes.
Le cadre SNCF était présent dans la cabine du pilotage au moment de l'accident.
"Je veux exprimer aux victimes et aux familles des victimes mes plus forts regrets par rapport à ce terrible accident et cette journée cauchemardesque du 14 novembre 2015", dit-il le corps secoué par des tremblements.
"Je porte et je porterai toujours en moi l'image de cet accident et des victimes", poursuit le prévenu.
La présidente de la 31e chambre l'encourage à poursuivre."Cela fait huit ans et demi que vous portez ce drame en vous", le pousse-t-elle.
En tant que "cadre CTT" ou "cadre traction", Francis L. était "le maître à bord" de la cabine de pilotage, selon le rapport des experts judiciaires."J'étais l'intermédiaire" entre le chef d'essais et le conducteur, rectifie le prévenu en chemise blanche et pantalon noir.
Le chef d'essais, Freddy M., un ingénieur de la Systra, l'entreprise maître d’œuvre des essais et qui n'était pas présent dans la cabine de pilotage, a trouvé la mort dans l'accident.
- "Ils font ce qu'ils veulent" -
Comme l'ont rappelé plusieurs témoins à l'audience, Freddy M. était "la plus haute autorité à bord".
Il était le seul à donner le feu vert aux essais ou à ordonner leur arrêt.Il était également la seule personne autorisée, pendant l'essai, à communiquer avec l'équipe de conduite, en l'occurrence Francis L.
Au cours de "la marche d'essai" du 14 novembre, Freddy M. se trouvait dans l'avant-dernière voiture de la rame, la "voiture-laboratoire", où 7 des 18 passagers, essentiellement des techniciens de la SNCF et de Systra, ont trouvé la mort.
Trois jours avant l'accident mortel du 14 novembre, un "presque accident" s'était produit sur le même tronçon.Francis L. était déjà le "cadre CTT" en cabine.
Un accident avait été évité de justesse le 11 novembre en raison d'une vitesse excessive de la rame dans une courbe.Francis L. avait fait part à sa hiérarchie de l'incident mais il n'y avait pas eu de suite.
"Ça me faisait peur.J'ai été voir dans le +laboratoire+ en disant que c'était raide.On m'a dit que ça passait bien, qu'il n'y avait pas de problème", a-t-il rappelé.
"C'est comme si on disait à un automobiliste que là où il roule, le code de la route ne s'applique pas", insiste-t-il en mettant en cause l'omnipotence de Systra dans la marche des essais.
"Ils sont chez eux, ils font ce qu'ils veulent", souffle-t-il.
Le prévenu n'est pas tendre non plus pour sa hiérarchie."Vous réclamez, vous n'obtenez jamais ce que vous demandez.Personne ne vous suit", déplore-t-il en écartant les bras.
Le conducteur de la rame, Denis T., doit être interrogé jeudi - il n'y a pas d'audience mercredi - et le technicien de Systra chargé de renseigner le conducteur sur les particularités de la voie, Philippe B., sera entendu vendredi.
Les trois autres prévenus, la SNCF, SNCF-Réseau et Systra qui comparaissent en tant que personnes morales, seront entendus à partir du 22 avril.
Tous sont jugés pour homicides et blessures involontaires par maladresse, imprudence, négligence ou manquement à une obligation de sécurité.
Le procès est prévu jusqu'au 16 mai.