Procès Le Scouarnec: la pédocriminalité de leur père, une "bombe atomique" pour deux fils de l'ex-chirurgien
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Vannes (AFP) - "Sa perversion a explosé comme une bombe atomique dans la famille": deux fils de Joël Le Scouarnec ont raconté mardi à la cour criminelle du Morbihan à Vannes l'impact des agissements de l'ex-chirurgien, jugé depuis la veille pour viols et agressions sexuelles sur 299 patients, pour la plupart mineurs, pendant 25 ans.
"Je ne sais même pas comment il est resté invisible à ce point", a lancé son deuxième fils âgé de 42 ans, au cours d'un long interrogatoire destiné à éclairer la personnalité de son père, qu'il compare à "Docteur Jekyll et Mister Hyde".
"Il y a une personnalité que je ne connais pas de mon père.Je ne peux pas le haïr car je n'ai rien à lui reprocher en tant que père.Mais je ne peux pas pardonner ce qu'il a fait", déclare-t-il.
"Je ne sais pas d'où vient cette perversion, je ne la comprends même pas", dit le quadragénaire, qui a raconté au tribunal comment il avait été lui-même victime de viols et d'agressions sexuelles par le père de Joël Le Scouarnec lorsqu'il avait entre 5 et 10 ans.
"J'ai les images en tête, je les aurai toute ma vie", assure-t-il.
Il estime être le seul fils victime de ce grand-père paternel.
Joël Le Scouarnec a-t-il également été victime d'inceste de la part de son père ? "Je pense que oui mais il m'a toujours dit que non", répond-il.
Résultat de ces traumatismes et des révélations déclenchées en 2017 contre Joël Le Scouarnec après une plainte pour le viol d'une voisine de six ans, le quadragénaire dit être alcoolique et souffrir d'insomnies.
"Tout ça m'a atteint.Il est bien là où il est, il ne fera plus de mal à personne", lâche-t-il, soulignant n'avoir jamais manqué de rien ni subi de gestes déplacés de la part de son père: "je pense que ma mère l'aurait tué".
"Tu as raison, ce que j'ai fait est impardonnable, mais je te demande pardon à toi", a dit l'ex-chirurgien à son deuxième fils.
- "Non-dits" -
Avant lui, son petit frère, 37 ans, avait lui aussi dressé le tableau d'une "enfance heureuse" dans une "famille normale" mais plombée par les "non-dits" sur les violences sexuelles et incestueuses.
"Je garde un très bon souvenir de mon père.Je pense qu'au fond de moi c'est pour ça que, depuis 2017, je n'ai plus aucun contact avec mon père car c'est l'image que je voudrais garder de lui", explique le plus jeune des trois fils.
Dans le box, Joël Le Scouarnec, 74 ans, crâne chauve ceint de cheveux blancs et lunettes cerclées de métal, le regarde, immobile.
Interrogé par la présidente sur les "non-dits" au sein de sa famille, notamment sur la condamnation de son père à de la prison avec sursis en 2005 pour détention d'images pédopornographiques, le benjamin lâche à la barre: "Ça rend un peu paranoïaque.Mon fils, je ne le laisse jamais tout à fait seul."
"Je voudrais rappeler qu'il faut séparer l'homme qui est jugé du père qui a fait (en sorte) que je ne manque de rien", dit-il, regardant son père pour la première fois, voix nouée.
Ce dernier prend la main de son avocat, semble ému, baisse la tête, enlève ses lunettes, se cache les yeux.Il semble pleurer.
L'ex-épouse de l'accusé devait témoigner en fin de journée mais sera appelée à la barre mercredi, les auditions ayant été bien plus longues que prévu et l'audience ayant pris fin vers 21H00.
Celle-ci était arrivée au tribunal dissimulée sous une ample capuche noire, portant des gants noirs et un masque chirurgical bleu.Assaillie de caméras, elle a dû se frayer un passage parmi les journalistes en essayant de cacher son visage avec ses mains.
Elle affirme ne jamais avoir eu le moindre soupçon sur la pédocriminalité de son mari, y compris après sa condamnation de 2005, malgré des écrits de ce dernier laissant penser le contraire, dès les années 1990.
- "Actes odieux" -
Lundi, au premier jour de ce procès prévu sur près de quatre mois, l'accusé a pris la parole pour la première fois: "J'ai commis des actes odieux".
"Je suis parfaitement conscient aujourd'hui que ces blessures sont ineffaçables, irréparables", a-t-il ajouté.
L'ancien chirurgien consignait méticuleusement dans des carnets et des fichiers le nom, l'âge et l'adresse de ses victimes ainsi que les violences infligées, souvent sous couvert de geste médical.
Déjà condamné en 2020 à Saintes (Charente-Maritime) à 15 ans de prison pour viols et agressions sexuelles sur quatre enfants, dont deux nièces, l'ancien médecin est désormais jugé pour des actes perpétrés entre 1989 et 2014 dans plusieurs hôpitaux de l'ouest de la France.