Réfugiés : le parcours de l’intégration racontée en BD
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Autun (France) (AFP) – En personnage BD comme dans la vie, Khaled Zyadeh aime flâner au pied de la cathédrale d’Autun : « ça me fait penser à Damas », dit le Syrien, héros d’un album retraçant l’intégration de réfugiés dans cette petite ville du Morvan.
« On voulait parler du quotidien ici, pas de leur histoire en Syrie »: l’album intitulé « Les Mots nous manquent » se démarque ainsi de « L’Arabe du futur », par exemple, la célèbre saga du Franco-Syrien Riad Sattouf, Grand Prix 2023 du festival d’Angoulême de la BD, explique à l’AFP Thibault Mouginot.
Chargé de développement social à l’Opac (office public d’habitat) d’Autun (Saône-et-Loire), Thibault a accueilli en 2018 la quinzaine de familles fuyant la guerre civile en Syrie pour atterrir dans ce gros bourg de 13.000 habitants lové dans le massif du Morvan.
« Je côtoyais ces familles.J’échangeais sur leur ressenti, leurs difficultés et je me suis dit qu’il fallait expliquer pourquoi, parfois, il y a incompréhension », ajoute ce travailleur social de 35 ans, revenu récemment d’un tour du monde d’un an.
Fan de BD, l’idée de dire par le dessin vient naturellement à Thibault.Et il se fait scénariste, racontant les histoires et anecdotes, cocasses ou tristes, générées par l’absence d’une langue commune.
De la dame âgée promenant son chien, qui lance « encore à traîner ceux-là » en voyant un groupe de Syriens papotant; au premier travail de Salah, la quarantaine, ramenant une pioche à son chef de chantier qui vient de lui demander « une pelle »; en passant par le jeune ado, Kawa, qui, fou de joie de savoir écrire son nom en français, le trace sur la vitre arrière d’une voiture, recevant du propriétaire un « Qu’est-ce que tu fais, petit vaurien! ».
« Les malentendus, l’incompréhension, les quiproquos » de l’intégration, c’est ce que montre la BD, explique Thibault.
– « On me donne du Molière » –
Album « léger », qui sera présenté en janvier au Festival d’Angoulême, « Les Mots nous manquent » se veut « apolitique »: garant de sa « totale liberté », assure Thibault.L’œuvre n’a reçu aucun argent des autorités, étant entièrement financée par l’Opac, bailleur social qui a logé les réfugiés et inscrit la BD dans son objectif du « bien-vivre ensemble dans les quartiers d’habitat social ».
Résolument pro-intégration, « Les Mots nous manquent » est édité par Tartamudo, maison fondée par José Jover, Français d’origine espagnole qui a été l’un des instigateurs du mouvement Black Blanc Beur.
Mais « je n’ai pas voulu tomber dans une approche manichéenne », explique Yas Munasinghe, l’illustrateur de la BD. »Oui, le racisme existe mais je refuse la position victimaire qui peut servir d’excuse à s’y réfugier », explique Yas, arrivé à Autun à 10 ans, en 1993, après avoir fui le Sri Lanka avec sa famille.
Aujourd’hui, Yas est professeur d’arts plastiques, il a la nationalité française, après avoir refusé de garder celle de son pays d’origine. »Parce que j’ai été formé par l’école de la République », dit-il avec emphase.
Cette intégration réussie, c’est ce que veut montrer la BD, à l’image de celle de Khaled Zyadeh.Arrivé à 20 ans à Autun sans savoir un mot de français, il est aujourd’hui « comédien ». »Professionnel », ajoute-t-il fièrement.
« On me donne du Molière.Il a fallu que je comprenne! », dit-il dans un rire et un français parfait, conscient du « chemin parcouru ».
« On était choqué culturellement en arrivant », se souvient-il au pied de l’immeuble n°37 où sa famille a été accueillie, dans un groupe de HLM aux façades décrépies, décorées de serviettes séchant sur les rambardes des balcons. »C’est difficile mais l’intégration est possible », lâche-t-il.
Le parcours du combattant est cependant long.Khaled attend depuis un an les papiers qui permettraient à son épouse de le rejoindre. »On s’est fiancé avant que je vienne en France mais, en cinq ans, je ne l’ai vue que deux semaines ».