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Tokyo commémore les 80 ans d'un raid aérien américain meurtrier de la Seconde guerre mondiale

Tokyo commémore les 80 ans d'un raid aérien américain meurtrier de la Seconde guerre mondiale
Publié le , mis à jour le

Tokyo (AFP) - Il y a 80 ans, Shizuko Nishio, qui avait à peine six ans, s'est accrochée à sa mère dans une cave, au moment où des bombardiers américains B29 larguaient leurs bombes incendiaires sur Tokyo, réduisant ses habitants en cendres et la capitale en un vaste champ de ruines.

Cinq mois avant les bombardements atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, les raids aériens nocturnes dans la nuit du 9 au 10 mars 1945 ont été les plus meurtriers de la Seconde guerre mondiale menés avec des bombes conventionnelles. 

Au moins 80.000 personnes - et probablement plus de 100.000 selon des historiens japonais et américains - auraient alors perdu la vie.

Mme Nishio, qui s'apprête à célébrer ses 86 ans, est la seule survivante parmi les vingt enfants de sa classe de maternelle.

Elle se souvient de son excitation à l'idée de fêter son sixième anniversaire mais aussi de sa joie car elle allait "commencer à aller à l'école primaire à partir du mois d'avril".

"Puis la nuit, alors que nous étions couchés, mon père nous a dit de nous réfugier dans l'école primaire située en face de notre maison", raconte à l'AFP cette vétérinaire à la retraite.

Mais l'abri était plein déjà bondé, avec plus de 400 personnes à l'intérieur. 

Le cousin de Mme Nishio, alors âgé de 19 ans, et une infirmière sont restés sur place, tandis que le reste du groupe s'est réfugié dans le sous-sol d'une autre école. 

Vague après vague, les bombardiers B29 ont alors largué des bombes incendiaires, déclenchant un immense brasier, qui a ravagé 4.145 hectares de la ville.

"Nous pensions que mon cousin et l'infirmière allaient s'en sortir", déclare Mme Nishio.

Mais quelques heures plus tard, ils faisaient partie des 200 personnes "retrouvées mortes carbonisées", brûlées vives par la chaleur du brasier à l'extérieur.

- "Corps carbonisés" -

Le matin de son sixième anniversaire, Shizuko Nishio et sa famille sont sortis de leur maison avant l'aube, et ont découvert des "corps carbonisés" qui ressemblaient à des "bûches humaines", a-t-elle raconté.

"Il n'y avait plus rien...C'était comme la surface de la Lune."

L'historien britannique Richard Overy, auteur de "Pluie de ruines: Tokyo, Hiroshima et la capitulation du Japon", raconte à l'AFP que mener une "explosion imparable" était "délibérée".

"Jusqu'au raid sur Tokyo, l'armée de l'air américaine avait tenté de détruire des usines japonaises ou d'attaquer des ports au Japon.Mais ils n'ont pas réussi", explique-t-il.

Le général Curtis LeMay, commandant de la force de bombardement de l'armée de l'air, "a donc décidé que la meilleure chose à faire était d'attaquer à basse altitude, avec des bombes incendiaires, et de brûler les villes", ajoute-t-il.

"Et en les incendiant, les travailleurs seraient tués, délogés.(...) Et cela permettait d'une certaine manière de miner l'économie de guerre japonaise", estime l'historien. 

En raison des bombardements atomiques sur Hiroshima et Nagasaki en août 1945, suivis de la capitulation du Japon en septembre, le bombardement de Tokyo est largement tombé dans l'oubli.

Même les attaques similaires menées par les Américains et les Britanniques à Hambourg et à Dresde en Allemagne, qui ont fait beaucoup moins de victimes, sont "plus connues", selon Richard Overy.

Tokyo a été "le pire bombardement conventionnel de la Seconde Guerre mondiale.Nous devons en être plus conscients", assure l'historien. 

"Il ne fait aucun doute que la population civile était une cible délibérée", ajoute-t-il. 

- "Rouge sinistre" -

Alors qu'elle n'avait que huit ans, Yoko Kitamura, une autre survivante du bombardement aérien, se souvient que le ciel s'était teinté d'un "rouge sinistre".

"Le feu prenait de l'ampleur tandis que j'observais le ciel avec effroi (...) et dans notre secteur, il faisait clair comme en plein jour", raconte à l'AFP Mme.Kitamura, aujourd'hui âgée de 88 ans.

Deux mois plus tard, le 24 mai 1945, le quartier de Tokyo où elle se trouvait a également été la cible de frappes aériennes incendiaires.L'une d'entre elles est tombée près d'elle, cela ressemblait à "un petit bâton qui faisait des étincelles".

"Il s'est divisé en trente-huit étincelles.(...) L'une (de ces étincelles) est tombée sur une personne en face de moi et ses vêtements ont brûlé", raconte Mme.Kitamura. 

"J'ai pensé, +Il prend feu+.Mais je n'ai pas pu demander à cette personne si elle allait bien...J'étais en train de fuir pour sauver ma propre vie", ajoute-t-elle. 

Par la suite, Yoko Kitamura est devenue docteure, et a toujours détesté" le son des sirènes d'ambulance, qui lui rappelle le cri des alertes de raids aériens en temps de guerre. 

Interrogée sur les conflits actuels, notamment la guerre en Ukraine, Yoko Kitamura a déclaré que "l'humanité est stupide de s'entretuer". 

L'autre survivante, Shizuko Nishio, partage son avis.

"Quand je regardais la télévision sur la situation en Ukraine, il y avait une petite fille qui pleurait dans un abri humide...J'ai pensé +C'est moi!+"

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