Face à la Russie, les ambiguïtés d'une certaine droite française

Paris (AFP) - La relativisation de la menace russe par plusieurs personnalités de droite, François Fillon en tête, illustre un rapport aussi ambigu qu'ancien de conservateurs français avec Moscou, qui se revendiquent du gaullisme, héritage qui leur est toutefois contesté.
Volodymyr Zelensky?"Il a sa part de responsabilité dans le déclenchement de la guerre et il refuse aujourd'hui de (l)'arrêter", a tranché la semaine dernière François Fillon dans un entretien à Valeurs actuelles.La Russie?"Une menace infiniment moindre" que l'islamisme, a poursuivi l'ancien Premier ministre.
La guerre?Elle "aurait pu être évitée si les dirigeants occidentaux avaient cherché à en comprendre les causes plutôt que de se draper dans le camp du bien", a encore estimé l'ancien administrateur de plusieurs sociétés russes.
A droite, la contestation de quelque danger d'une extension du conflit - autant qu'un appel à une "paix" qui acterait la conquête de terres ukrainiennes par la Russie - compte ses promoteurs.
Face à Vladimir Poutine, "est-ce qu'on a besoin d'être dans une provocation, d'être facteur d'escalade", a ainsi interrogé dimanche l'ancien ministre de la Défense Hervé Morin, pour mieux fustiger Emmanuel Macron.
Lundi, c'est Henri Guaino, conseiller du président Nicolas Sarkozy (2007-2012), qui relevait que "si nous sommes agressifs, (...) faut pas s'étonner qu'on ait en face un Etat agressif".
Pour le politologue Pascal Perrineau, ces voix iconoclastes illustrent "une partie du personnel gaulliste", supposément fidèles "à la volonté d'autonomie (de la France) lors de la guerre froide", et qui veulent "préserver un certain équilibre entre l'alliance occidentale et la dialogue avec la Russie"."Mais c'est un faux équilibre", relève l'ancien patron du Centre de recherches politiques de Sciences Po.
Chez LR, les deux prétendants à la présidence du parti qui se revendique héritier de la pensée du "Général", Laurent Wauquiez et Bruno Retailleau, se sont d'ailleurs désolidarisés des sorties de leurs "compagnons", bien que le second fut longtemps un très proche de M. Fillon.
- "Dénonciation du progressisme" -
L'ambiguïté d'une certaine droite vis-à-vis de la Russie, voire de Vladimir Poutine, n'est pourtant pas nouvelle.Nicolas Sarkozy - dont François Fillon fut le Premier ministre, Hervé Morin le ministre et Henri Guaino le conseiller spécial à l'Elysée - n'avait-il pas plaidé dès août 2023 pour le "compromis" avec Moscou?
Huit ans plus tôt, l'ancien président estimait que l'annexion de la Crimée procédait d'un "choix" entériné par un référendum, alors que sa régularité avait été contestée par la communauté internationale.A l'époque, une part conséquente de la droite était par ailleurs vent debout contre les sanctions prises par la France dirigée par François Hollande.
De quoi, déjà, provoquer des factures: dans Le Monde, l'eurodéputé UMP (l'ancien nom de LR) Arnaud Danjean dénonçait alors une vision du gaullisme "mal digérée et dévoyée" et une "dérive de la droite française" qui, "à travers cette fascination poutinienne", entretient "un recul philosophico-idéologique, à savoir le rejet du libéralisme politique".
"Si Poutine est aujourd'hui trop virulent pour être totalement accepté, il demeure une dénonciation du progressisme qui résonne chez certaines personnalités de droite: c'est de nature à plaire à des gens d'une mouvance conservatrice", abonde auprès de l'AFP le chercheur Emilien Houard-Vial.
Au passage, il note que MM.Guaino ou Morin se sont exprimés sur CNews, propriété de Vincent Bolloré, réputé partager un certain nombre de ces thèses: "Leurs discours leur donnent plus de chance d'être reçus sur ces chaînes que s'ils ne le tenaient pas".
Autre explication, selon ce spécialiste de la droite: "une vision de realpolitik, qui fait que si l'Ukraine menace les intérêts des agriculteurs français, alors il faut mettre fin à son soutien".
C'est d'ailleurs précisément sur ce terrain que s'aventure désormais Marine Le Pen, à la recherche d'une ligne de crête après avoir longtemps tressé des lauriers à Vladimir Poutine, reconnu elle aussi le référendum en Crimée, et prêté le flanc aux critiques pour avoir contracté un prêt russe.
Dans un entretien au Figaro paru la semaine dernière, la triple candidate malheureuse à la présidentielle avait affirmé "partager totalement l'avis de François Fillon", en ironisant: "Il y a peu de chances (que la Russie) ambitionne de venir jusqu'à Paris".Elle reprenait alors la rhétorique de l'un de ses proches, Thierry Mariani, lui aussi ancien ministre de Nicolas Sarkozy et ancien co-président de l'association Dialogue franco-russe, selon qui "croire que les chars russes vont arriver à Paris ou à Lisbonne" était "farfelu".