A Strasbourg, des patrouilles pour "culpabiliser" les consommateurs de drogue
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Strasbourg (AFP) - "C'est à cause de vous qu'il y a des trafiquants" : déployés dans le quartier de la gare à Strasbourg pour endiguer les trafics, les policiers cherchent à sensibiliser les consommateurs, qui trop souvent "n'ont pas conscience" des nuisances qu'ils engendrent.
Dans ce quartier où les autorités mènent régulièrement des actions pour lutter contre les trafics, pas facile de renforcer la visibilité des forces de l'ordre pour rassurer la population tout en procédant à des arrestations.
A 500 mètres de la gare, les policiers sont une douzaine à se positionner sur une place bordée par un canal.A leur arrivée, certaines personnes décampent sans se retourner, d'autres semblent jeter à l'eau le contenu de leurs poches.Ce qui n'empêche pas de procéder à des contrôles.
Deux individus sont pris en flagrant délit d'usage de stupéfiants.Le ton monte, les contestations se font entendre mais n’empêchent pas les sanctions.Ils feront tous deux l'objet d'une amende de 200 euros, ramenée à 150 en cas de paiement dans les 15 jours.
"On est sur un quartier qui draine une population de passage.Donc on opère des contrôles réguliers, pour lutter contre la consommation de stupéfiants et les trafics", explique à l'AFP le commissaire Xavier Rauch."L'idée est d'avoir une réponse qui concerne à la fois les vendeurs et les consommateurs de produits stupéfiants".
A cette action traditionnelle s'ajoute l'initiative récente du ministère de l'Intérieur, qui vise à "culpabiliser" les consommateurs, selon les mots du ministre Bruno Retailleau, pour mieux lutter contre le narcotrafic.
"Malheureusement, trop de consommateurs n'ont pas conscience des nuisances du trafic de stupéfiants, et de l'engrenage dans lequel ils s'inscrivent", estime le commissaire.
"Très concrètement, certains quartiers concernés par ces trafics ont des problématiques de violences, les stupéfiants engendrent d'autres trafics et peuvent même être liés au financement du terrorisme.La consommation, même festive, d'un simple joint s'inscrit souvent dans un contexte beaucoup plus large".
- Contrer la "banalisation" -
Selon les derniers chiffres de l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), publiés en janvier, 50% des 18-64 ans ont déjà consommé du cannabis, et 900.000 personnes en consomment "quotidiennement".Le recours à d'autres produits stupéfiants (cocaïne, ecstasy/MDMA, champignons hallucinogènes, LSD...) est lui aussi en augmentation.
"Il y a une banalisation", déplore Cécile Rackette, ex-magistrate judiciaire et directrice de cabinet du préfet du Bas-Rhin."Alors la campagne c'est de dire aux consommateurs, c'est à cause de vous qu'il y a des trafiquants".
Elle évoque les victimes collatérales des trafics, comme cette étudiante marseillaise décédée en septembre 2023 d'une balle perdue, ou les parents qui "ne sont pas choqués que leur enfant fume, mais sont scandalisés quand dans leur hall d'immeuble, ça deale et ça fait des nuisances"."Mais l'un ne va pas sans l'autre" insiste-t-elle.
Elle rejette formellement la proposition, formulée lundi par les députés Ludovic Mendès (apparenté Ensemble pour la République) et Antoine Léaument (LFI), de légaliser l'usage du cannabis."C'est une grave erreur.Et ça ne supprimera jamais les marchés parallèles", prédit-elle.
Les habitants du quartier, eux, s'interrogent sur les effets de ces déploiements épisodiques de forces de l'ordre sur le terrain.
"S'en prendre au consommateur, ce n'est pas la meilleure des approches.Il devrait y avoir un programme d'écoute et d'échange, plutôt que ce rapport de force", estime Marie, aide-soignante de 50 ans, qui travaille à proximité."Ça va servir un temps, ça va se calmer sur une courte période, et après ça reviendra puissance 10".
Elle constate la persistance de l'insécurité dans le quartier, "au même titre que la précarité, le logement, la pauvreté".Alors, quand elle quitte son travail, le soir, elle sort "par la sortie de service, pas par l'entrée principale, pour éviter de croiser certaines personnes".
Selon la Cour des comptes, cinq ans après son lancement, le plan national anti-stupéfiants présente des "résultats mitigés".La lutte contre le narcotrafic coûte 1,8 milliard d'euros à l’Etat chaque année.Les bénéfices des trafiquants s'élèvent, eux, à 3,5 milliards.