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Au Groenland, les sans-logis, grands oubliés de la modernisation

Au Groenland, les sans-logis, grands oubliés de la modernisation
Publié le , mis à jour le

Nuuk (AFP) - Une tente fragile se dresse derrière une congère.C'est depuis près de deux ans l'abri de fortune d'un des nombreux sans-logis oubliés par la modernisation en cours au Groenland et condamnés à vivre dans le grand froid de l'Arctique.

Pour rester au chaud sous ces latitudes où le thermomètre peut tomber à -20°C la nuit en hiver, Anders Maqe isole sa tente avec des cartons de récupération, la réchauffe avec "une ou deux bougies" et se glisse dans un sac de couchage.

Originaire de Tasiilaq, petite localité de l'est du Groenland, cet homme de 57 ans à la barbe hirsute vit à la dure depuis qu'il a perdu son emploi de trésorier municipal il y a plusieurs années -- et le logement qui allait avec. 

Il y a un an et neuf mois de cela, il a planté sa tente derrière le bâtiment de l'Armée du Salut à Nuuk, la capitale de l'île arctique.  

Un appartement?"J'en ai besoin, j'en ai vraiment besoin", plaide-t-il."J'ai mal en moi.Pas dans ma tête, mais en moi", dit-il en désignant son coeur.

Territoire autonome danois convoité par Donald Trump et où des élections législatives se tiendront mardi, le Groenland compte environ 500 sans-logis, soit près de 1% de sa population totale, selon un recensement de 2022.

C'est le résultat d'une centralisation et d'une modernisation rapides ces dernières décennies.

Depuis 1980, la population de Nuuk a doublé pour atteindre 19.000 habitants et la municipalité s'est fixé l'objectif de faire passer ce chiffre à 30.000 en 2030.

Hérissée de grues, la ville abrite aujourd'hui un terrain de golf et, depuis l'automne dernier, un aéroport international.Et quelque 150 sans-logis...

"Dans l'Arctique, on observe généralement davantage ce qu'on appelle la sans-domiciliation indirecte ou invisible", explique à l'AFP Steven Arnfjord, chercheur en sciences sociales à l'université du Groenland.

"Elle se manifeste par une surpopulation des résidences ordinaires ou des familles multigénérationnelles qui vivent sous le même toit", ajoute-t-il.

- Conteneurs -

Ceux qui ne bénéficient pas de ces solutions d'entraide --pas toujours pérennes-- vivent dans des endroits vaguement chauffés comme des cages d'escalier, dans un refuge municipal ou, plus rarement, sous une tente comme Anders Maqe.

Dans sa bâtisse en bois bleue, l'Armée du Salut dit servir des repas à entre 50 et 110 personnes par jour.

"Devenir sans-abri, ce n'est pas juste une question économique, c'est une question sociale aussi", souligne Nathanaël Münch, le chef local de l'organisation. 

"Quand y a un problème, quand un couple se sépare, quand on perd les enfants, parfois il y a des histoires d'inceste, il y a des histoires de conflits.Donc oui, il y a des gens qui viennent avec des maladies mentales ou du bagage un peu difficile", dit-il.

Et si la ville construit à tour de bras, les nouveaux logements sont hors de prix pour les moins nantis.

"C'est peut-être une des grosses différences entre la situation des sans-abri ici par rapport à beaucoup de pays en Europe (...): une grosse partie des sans-abri ont un travail ou travaillent de temps en temps et seraient plutôt classés dans une catégorie de travailleurs pauvres dans d'autres pays", précise M. Münch. 

La municipalité a pris conscience du problème et commence depuis quelques années à offrir des solutions d'hébergement aux plus vulnérables.

A quelques kilomètres du centre-ville, des baraques de chantier à base de conteneurs, utilisées pendant la construction de l'aéroport, abritent désormais des démunis.

Parmi eux, Aage déblaie la neige devant son nouveau logement.

Ces modestes 10-15 mètres carrés, avec salle de bain individuelle, sont un cadeau du ciel pour ce quinquagénaire originaire du village de Paamiut (sud-ouest), qui vivait auparavant dans un foyer.

"Je devais partager une chambre avec cinq autres gars, où il y avait un lit superposé.Donc si l'un ou l'autre ronflait, je devais essayer de dormir" sans trop y parvenir, raconte-t-il.

"Peut-être que j'avais du travail le lendemain.Alors, je me reposais l'après-midi si j'étais fatigué, je m'allongeais, mais quelqu'un faisait du bruit: il jouait de la guitare ou quelque chose comme ça.On n'a pas ce genre d'espace privé quand on vit dans un foyer", dit-il en faisant visiter son nouveau chez lui.

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