Inde, au rassemblement de la Kumbh Mela, les parias nettoient les toilettes
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Prayagraj (Inde) (AFP) - Des millions d'Hindous se pressent depuis lundi au méga-pèlerinage de la Kumbh Mela, dans le nord de l'Inde, pour se laver de leurs péchés mais c'est aux seuls dalits, autrefois nommés "intouchables", que revient la tâche de laver leurs toilettes.
"Je ne cesse de nettoyer, mais les gens font des dégâts en à peine dix minutes", se lamente l'un de ces nettoyeurs, Suresh Valmiki.
Quelque 5.000 d'entre eux ont été recrutés pour maintenir propres les 150.000 toilettes où vont défiler pendant six semaines les fidèles venus se baigner à Prayagraj, à la confluence des fleuves sacrés du Gange et de la Yamuna.
Les organisateurs attendent 400 millions de participants à ce rassemblement, qui deviendrait ainsi le plus grand de tous les temps.
Assurer un minimum d'hygiène à une telle marée humaine constitue, pour les organisateurs, un défi logistique et sanitaire gigantesque.
A côté des 10.000 employés chargés de la propreté générale, ceux qui ont pour mission spécifique de nettoyer les latrines appartiennent presque tous au plus bas échelon de la hiérarchie qui divise toujours la société indienne en castes.
Tout en bas de cette échelle, les dalits, considérés comme hors-caste, se voient traditionnellement réserver les plus basses besognes.
Selon les statistiques, neuf égoutiers ou nettoyeurs de fosses sceptiques sur 10 sont des dalits.
"Les gens disent que c'est notre travail de nettoyer les toilettes, pourquoi se donneraient-ils la peine de le faire ?", souligne l'un d'eux, Geeta Valmiki.
Contre l'équivalent de quatre euros par jours, lui et ses pairs effacent les traces du passage des fidèles, le nez couvert d'un foulard ou d'une serviette pour se protéger des odeurs nauséabondes.
L'absence de raccordement à l'eau des toilettes rend leur tâche encore plus difficile - un choix délibéré des organisateurs pour éviter de devoir aspirer les fosses septiques toutes les deux heures.
A la place, les usagers des WC sont priés de se munir d'un seau d'eau...
- "Nettoyer pour manger" -
Mais faute de seaux en quantité suffisante, les pèlerins utilisent des bouteilles d'eau qu'ils jettent dans les toilettes, ont constaté les personnes en charge de les nettoyer.
"Je n'ai plus de voix à force de leur répéter de ne pas mettre de bouteilles à l'intérieur, mais personne ne m'écoute", déplore Suresh Kumar.
Les nettoyeurs sont bien équipés de machines à jet mais la pression insuffisante de l'eau les rend largement inefficaces.
Alors toutes les latrines - bleues pour les hommes, roses pour les femmes - débordent d'excréments, en particulier celles situées sur les berges où les fidèles se pressent avant de s'immerger.
De leur côté, les organisateurs assurent avoir mis en place d'importants moyens matériels et technologiques pour assurer la propreté.
Ainsi, assurent-ils, 250 véhicules ont été déployés pour vidanger les eaux usées des toilettes et les déverser dans trois stations d'épuration temporaires spécialement construites à cet effet.
"Nous nous assurons continuellement qu'il n'y a pas de débordement des fosses septiques et que les toilettes ne sont pas obstruées", assure l'une des responsables du pèlerinage, Akansha Rana.
En outre, trois stations d'épuration temporaires ont été installées "pour traiter les eaux usées et les fosses septiques", ajoute-t-elle.
Par ailleurs, 1.500 bénévoles ont été chargés d'inspecter les toilettes, dotés d'un code QR pouvant être scanné par téléphone.
"Chaque fois que l'un d'eux se rend dans les toilettes, il doit scanner le code QR, puis remplir la question relative à la qualité du service", détaille Mme Rana, en précisant que ces inspections ont lieu toutes les trois heures.
Mais en dépit de tout cela, la tâche s'apparente au "tonneau des Danaïdes".
"Il viennent, chient, et nous devons nettoyer pour pouvoir manger", résume amèrement Sangeeta Devi, 30 ans, "c'est la vie".