L'Opéra de New York veut adapter l'"exotisme" d'"Aïda" à l'époque contemporaine
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New York (AFP) - "Aïda" incarne depuis sa création en 1870 l'opéra dans sa forme la plus extravagante - décors somptueux, costumes luxueux et même des chevaux sur scène, un grand spectacle censé transfigurer son public.
Le prestigieux Metropolitan Opera de New York programme de plus en plus d'oeuvres américaines contemporaines et étrangères réadaptées.Objectif: séduire un public plus jeune, multiculturel et critique d'une forme de "réappropriation culturelle" d'opéras européens "orientalistes" de la fin du XIXe siècle comme "Aïda."
Ainsi, l'oeuvre magistrale des Italiens Giuseppe Verdi et Antonio Ghislanzoni, qui met en scène, au temps des pharaons, une histoire d'amour entre une esclave éthiopienne et un militaire égyptien, a fait les délices de l'élite new-yorkaise du Met Opera pendant plus de trois décennies.
Si bien que remonter une nouvelle production de ce drame en quatre actes, qui raconte une histoire universelle d'amour, de guerre et de loyauté dans l'Egypte ancienne, a représenté un immense défi.
"Aïda étant si grandiose et si onéreux que je me suis vraiment senti sous pression" reconnaît dans un entretien à l'AFP le metteur en scène Michael Mayer, dont la production a démarré en janvier au Met Opera, immense bâtiment récemment rénové qui trône en majesté dans un quartier huppé de Manhattan.
"Je savais qu'il y existait un public friand de grand spectacle", confie l'auteur américain de 64 ans, qui a déjà produit "La traviata" de Verdi pour le Met Opera et nombre de comédies musicales sur Broadway.
- "Colonialisme et impérialisme" -
M. Mayer sait aussi qu'"Aida" a été critiquée pour son "orientalisme", car l'oeuvre offrirait une vision "exotique" et réductrice de l'Egypte ancienne, à travers le regard de l'Occident.
Il s'agit de "reconnaître, de manière subtile, une forme d'impérialisme et de colonialisme associés à une sorte de fétichisation de l'Egypte ancienne", décrypte le metteur en scène américain, citant d'autres opéras "exotiques" de Puccini comme "Madama Butterfly", qui se déroule au Japon, et "Turandot", en Chine.
A notre époque, M. Mayer pense que le public continue d'être sensible à la "beauté" des oeuvres opératiques, mais est aujourd'hui "beaucoup plus conscient de l'orientalisme, du colonialisme, de l'impérialisme et de l'idée que ces cultures ont été démantelées et réappropriées".
Une "réappropriation culturelle" que "le public contemporain ne peut tout simplement plus avaler", pense M. Mayer.
La nouvelle production n'a pas été bien accueillie par les critiques classiques, mais rajeunir un opéra traditionnel est délicat, reconnaît-il.
Il lui faut donc trouver le juste équilibre entre séduire de jeunes amateurs d’opéra et continuer de plaire aux anciennes générations.
C'est à dire, explique le metteur en scène, réadapter une oeuvre traditionnelle pour l'époque contemporaine, sans abandonner ce qui a ancré "Aïda" dans la postérité avec son intrigue universelle.
"Si quelqu'un va à l'opéra pour la première fois, qu'il voit +Aida+ et qu'il se dit: +Oh mon Dieu, c'est comme un spectacle de Broadway sous crack, j'ai hâte de le revoir+, alors j'ai l'impression que ma mission est accomplie", se réjouit Michael Mayer.
"L'avenir de l'opéra en Amérique est vraiment entre les mains des jeunes", conclut le metteur en scène sexagénaire.