Prendre le volant pour gagner sa vie: les Nigérianes s'imposent dans les transports

Lagos (AFP) - Amaka Okoli, mère de famille de 38 ans, a été contrainte de changer de profession lorsqu'elle a perdu son emploi dans une banque: désormais conductrice de bus, elle commence généralement sa journée à 05H30 du matin, l'heure de pointe pour les travailleurs de Lagos, la mégapole nigériane aux 20 millions d'habitants.
"Avant, il était rare de voir une femme chauffeure de bus à Lagos, mais les choses ont évolué car nous devons gagner notre vie", explique-t-elle à l'AFP, en attendant de démarrer son petit bus jaune à rayures noires pour parcourir plusieurs quartiers de la mégalopole.
"J'ai l'impression d'avoir deux vies.D'un côté, il y a celle de chauffeure de bus, où je dois être audacieuse et attirer les passagers, de l'autre la vie plus tranquille de femme au foyer, prenant soin de mon mari et de mes enfants", ajoute Mme Okoli.
Selon plusieurs experts et professionnels du secteur des transports, la conjoncture économique actuelle du Nigeria pousse de plus en plus de femmes à se lancer en tant que conductrices de bus et de VTC.
"Les familles ne peuvent plus dépendre d'un seul revenu, et dans certains cas, les femmes sont devenues des soutiens de famille, ce qui les a amenées à explorer des professions qui étaient culturellement réservées aux hommes", déclare à l'AFP Samuel Odewumi, professeur de planification et de politique des transports à l'université de l'Etat de Lagos.
Le Nigeria traverse actuellement l'une de ses pires crises économiques depuis des décennies.
Le coût de la vie a considérablement augmenté dans le pays le plus peuplé d'Afrique depuis que le président Bola Tinubu, élu en 2023, a mis fin aux subventions sur les carburants et au contrôle des devises.
- Ladies on Wheels -
À Lagos, les conducteurs de bus sont majoritairement des hommes, tout comme leurs accompagnateurs chargés d'aider les usagers à monter à bord et de les renseigner sur l'itinéraire.
Ces bus privés, appelés "Korope" ou "Danfo", emblématiques du paysage lagotien, transportent environ 10 millions de passagers chaque jour, selon une étude réalisée par l'autorité de transport métropolitain de Lagos (LAMATA) en 2015.
Avec la hausse du nombre de femmes chauffeures de bus et de VTC, dont les plus connues au Nigeria Uber et Bolt, l'association nigériane Ladies on Wheels ("des femmes sur roues" en français, LOWAN) compte aujourd'hui plus de 5.000 membres, contre seulement six à sa création en 2018.
"Nous avons ressenti le besoin de prendre soin de nous-mêmes, surtout dans une ville aussi dynamique que Lagos, où tout le monde se bouscule", explique Victoria Oyeyemi, présidente de LOWAN, cette association d'entraide pour les conductrices de bus et de VTC.
Pour Mme Oyeyemi, il est important d'encourager les femmes à devenir chauffeures de transport en commun ou privé, tout en sensibilisant aussi aux difficultés et risques inhérents à cette profession.
"Nous n'encourageons pas nos membres à travailler tard le soir car les risques sont trop élevés, mais certaines le font", déclare Mme Oyeyemi, en référence à des cas de vols de gains et de véhicules qui lui ont été rapportés.
- Revenus modestes -
Les chauffeurs hommes consomment souvent de l'alcool et des boissons énergisantes pour faire face à la fatigue et au stress lié aux embouteillages, ce qui entraîne une conduite erratique et des infractions aux limitations de vitesse.
En raison de cette situation, "les passagers préfèrent désormais monter dans des bus conduits par des femmes, car elles sont jugées plus propres et plus prudentes au volant", estime Amaka Okoli.
Les excès de vitesse ont causé environ 56% des accidents de la route entre janvier et juin 2024, selon l'agence nationale pour la sécurité routière.
Mais les revenus modestes générés par cette activité ne satisfont pas Amaka Okoli.
"Je pleure souvent au travail, surtout quand mon bus est saisi et que je dois utiliser tout mon argent pour payer l'amende.Je rentre chez moi les mains vides", raconte Mme Okoli.
Soixante pour cent des revenus quotidiens de cette mère de trois enfants sont consacrés à couvrir les taxes journalières, les bakchichs aux agents de la circulation et l'achat de carburant.
Mais le métier, même accompagné de son lot de difficultés, est "mieux que de rester au chômage", concède-t-elle.